Le Data Act : un tournant dans la gestion de vos données numériques
La donnée est le nouveau pétrole. Cette expression est certes devenue un lieu commun, mais elle n’en reste pas moins vraie. Dans un écosystème numérique où les données circulent à grande vitesse entre les objets connectés, les plateformes et les services, la réglementation européenne joue un rôle clé pour encadrer cette nouvelle manne. Après le RGPD, place au Data Act, adopté en juin 2023 et applicable d’ici 2025. Pour les professionnels du marketing, les communicants et les entrepreneurs, cette nouvelle législation n’est pas simplement un texte juridique de plus : elle redessine en profondeur les règles du jeu autour de l’accès, de l’utilisation et du partage des données issues des produits connectés.
Loin d’être un sujet réservé aux juristes, le Data Act a des implications directes sur les stratégies digitales, la relation client et la compétitivité des entreprises. Voyons ensemble ce qu’il change concrètement – et comment vous y préparer efficacement.
Le Data Act, c’est quoi exactement ?
Rappelons les fondamentaux : le Data Act — ou règlement sur les données — fait partie du programme de régulation numérique de la Commission européenne, aux côtés du Digital Services Act et du Digital Markets Act. Son objectif est clair : favoriser un usage plus équitable, accessible et sécurisé des données générées par les produits connectés, tout en stimulant l’innovation numérique dans l’UE.
Il ne s’agit pas de réguler les données personnelles (ce rôle reste attribué au RGPD), mais plutôt les données industrielles, commerciales ou générées par l’usage d’appareils connectés : voitures, machines industrielles, montres intelligentes, thermostats, etc.
Quels sont les grands principes du Data Act ?
Le règlement s’articule autour de plusieurs grands axes structurants. Voici les plus déterminants pour les acteurs du digital.
- Partage facilité des données générées par les produits connectés : les fabricants devront permettre aux utilisateurs — qu’ils soient particuliers ou entreprises — d’accéder directement aux données générées par leurs équipements. Finie la rétention d’information par les constructeurs.
- Transparence des conditions d’accès aux données : les entreprises devront expliquer clairement quelles données sont collectées, à quelles fins, et selon quelles conditions elles sont partagées.
- Obligation de partage dans un cadre contractuel équitable : lorsqu’une entreprise demande l’accès à des données à une autre (partenaire, fournisseur), celle-ci est tenue de répondre favorablement si la demande est raisonnable, et sans abus de dépendance.
- Encadrement du recours aux données dans les services cloud : les fournisseurs de services cloud devront permettre une portabilité simplifiée des données, pour éviter les effets de verrouillage (lock-in).
Ce que cela change pour les acteurs du marketing et de la communication
À première vue, le Data Act peut sembler éloigné des pratiques de communication digitale ou de marketing de contenu. En réalité, ses implications sont profondes — et déjà palpables.
1. Une richesse nouvelle de données utilisables
Grâce au Data Act, les entreprises pourront récupérer des données générées par les objets connectés qu’elles utilisent ou vendent. Cela peut transformer la relation client. Prenons l’exemple d’un fabricant de vélos connectés : il pourra désormais accéder légalement aux données d’usage des clients (trajets, fréquence, conditions météorologiques), sous réserve de leur consentement. Cette matière première, une fois analysée, permettra :
- d’améliorer l’expérience utilisateur, en personnalisant conseils ou notifications ;
- de concevoir des contenus ciblés basés sur les comportements réels ;
- de nourrir la stratégie d’automatisation marketing avec des données de première main.
2. Des partenariats data renforcés
Le bornage du partage de données dans des cas précis — avec obligation de réponse équitable — va structurer de nouveaux modèles de collaboration, notamment dans les écosystèmes B2B ou industriels. Les marques pourront demander l’accès à des jeux de données tierces pour améliorer leurs prédictions, modèles de scoring, ou encore concevoir des campagnes sur mesure. La clé ? Des contrats bien construits et une logique de réciprocité gagnant-gagnant.
3. Une simplification de la portabilité entre outils numériques
Si vous avez déjà tenté de migrer des données d’un CRM vers un autre ou de changer de plateforme de data management, vous savez combien cette opération peut virer au cauchemar technique. Le Data Act oblige les plateformes cloud à faciliter cette portabilité : moins de friction pour tester un nouveau prestataire, réduire ses coûts ou retrouver la maîtrise de sa chaîne de valeur. Une bonne nouvelle pour les marketeurs qui veulent reprendre la main sur leur stack technologique.
Quels risques ou freins à anticiper ?
Comme toute opportunité, ce nouveau cadre implique aussi une montée en responsabilité pour les acteurs du numérique. Plusieurs points de vigilance sont à retenir.
1. Une gouvernance des données à professionnaliser
Ce n’est plus une option : les données industrielles ou d’usage vont devoir faire l’objet de politiques de gestion précises, traçables et documentées. Cela suppose :
- une cartographie claire des données accessibles ou générées ;
- des protocoles de traitement robustes ;
- des contrats encadrant le partage dans les règles du Data Act.
Les directions marketing et communication devront travailler main dans la main avec les DSI et les juristes pour construire cette gouvernance.
2. Un consentement utilisateur encore plus critique
Si le Data Act encadre l’accès aux données, il ne s’affranchit pas du RGPD. Autrement dit : l’utilisateur doit être informé et donner son accord avant toute exploitation. Cela renforce l’importance de la transparence dans les interfaces utilisateurs, les formulaires d’inscription ou les tableaux de bord clients qui permettent la gestion des choix en matière de données.
3. Une pression accrue sur l’interopérabilité
Les systèmes, plateformes et applications devront aligner leurs standards pour permettre le partage fluide et sécurisé des données. Pour de nombreuses entreprises, cela impliquera des ajustements techniques coûteux à court terme. Mais sur le long terme, c’est une ouverture stratégique, en particulier pour les PME qui pourront mieux compétir avec les grands groupes, grâce à un meilleur accès à la matière data.
Vers une gestion plus stratégique des données
Le Data Act impose de sortir d’une logique de rétention – les données ne sont pas un bien à enfermer, mais une ressource à valoriser et à partager de manière intelligente. Cela exige un changement de posture chez les professionnels du digital : il ne s’agit plus seulement de collecter le plus de données possibles, mais de comprendre comment en extraire de la valeur, dans un cadre éthique, transparent et conforme.
Pour les marketeurs et communicants, cela ouvre des voies passionnantes :
- créer des offres sur la base de données comportementales issues d’objets connectés ;
- personnaliser davantage les contenus grâce à des retours d’usage en temps réel ;
- formaliser des collaborations autour de la donnée entre services marketing et R&D ;
- bâtir des campagnes fondées sur des insights beaucoup plus précis que ceux des cookies standards.
En d’autres termes, le Data Act est une invitation à muscler votre stratégie de la donnée, avec des garde-fous – mais aussi des possibilités – qui méritent d’être exploitées dès aujourd’hui.
Comment vous préparer efficacement au Data Act ?
2025 peut sembler lointain, mais il est capital d’anticiper. Voici quelques pistes concrètes pour commencer dès maintenant :
- Faites l’inventaire des objets connectés utilisés dans l’entreprise (industrie, énergie, santé, mobilité, bâtiments intelligents, etc.) pour identifier les flux de données concernés.
- Évaluez vos contrats actuels avec les fabricants ou partenaires technologiques pour voir si des données peuvent être rendues accessibles.
- Travaillez avec votre DPO pour croiser exigences du Data Act et RGPD, notamment sur la gestion du consentement.
- Définissez vos priorités d’usage : quelles données souhaitez-vous réellement exploiter ? Et pour quels objectifs stratégiques ?
- Mettez à jour votre documentation de conformité et vos conditions générales si vous partagez ou utilisez des données de produits connectés.
Enfin, formez vos équipes. Les marketeurs, chefs de produit, communicants doivent comprendre les grandes lignes de cette nouvelle réglementation. Ce qui ne veut pas dire devenir juriste, mais maîtriser la grammaire du nouveau monde de la donnée ouverte.
Une révolution silencieuse… mais stratégique
Le Data Act pourrait bien redéfinir le pouvoir de la donnée en entreprise. En créant un cadre harmonisé pour l’accès et le partage, il dépasse la logique classique de protection individuelle. Il propose un modèle où la donnée devient un acte de collaboration, un levier de co-innovation, voire un nouveau terrain de concurrence.
À l’heure où toutes les entreprises veulent devenir data-driven, cette réglementation n’est pas un frein, mais un tremplin : pourvu qu’on s’y prépare intelligemment.
